« La crise du Covid a montré la fragilité de l’écosystème économique de Toulouse », lance Marc Ivaldi, enseignant à Toulouse School of Economics (TSE) et directeur d’études à l’EHESS. Face à la plus grande crise de l’histoire du transport aérien, la Ville rose a beaucoup souffert de sa dépendance au secteur aéronautique. À tel point que certains ont craint que Toulouse connaisse le même destin que Détroit aux États-Unis lors de la crise automobile.
Une première en Europe
L’ampleur du choc a donné l’idée à des chercheurs toulousains de créer l’Institute for sustainable aviation (ISA). Comme son nom l’indique, cet institut de recherche, qui sera officiellement lancé fin 2021, a vocation à réunir des scientifiques de plusieurs disciplines pour réfléchir à une aviation durable. Parmi les premiers établissements partenaires figurent l’Isae-Supaero TSE, l’Enac, l’Université de Toulouse, TBS, Météo-France et le Cerfacs. Mais des équipes venues des sciences sociales et politiques pourraient rejoindre le mouvement ainsi que des laboratoires d’autres métropoles françaises et européennes. « Un tel institut n’existe pas. Bien sûr en Europe, des institutions académiques étudient la question de l’aviation durable sous l’angle des sciences exactes. Par exemple, à Manchester des climatologues travaillent sur le sujet avec des partenaires industriels. L’originalité de l’Institute for sustainable aviation, c’est d’imaginer comment les briques technologiques s’insèrent dans un système global et de sortir de la logique de recherche en silos », fait valoir Laurent Joly, directeur adjoint de la recherche au sein de l’Isae-Supaero et chargé de piloter l’ISA.
Neuf thématiques de recherche ont déjà été identifiées.
« À très court-terme, un sujet majeur est d’analyser l’aspect systémique de l’impact de la crise Covid sur l’effondrement du nombre de kilomètres volés. D’autant que d’autres pandémies pourraient survenir. La résilience du secteur de l’aviation à ces fluctuations de trafic dues à des raisons sanitaires ou géopolitiques apparaît cruciale, poursuit le chercheur.
Autre enjeu : l’avenir des SAF (carburants d’aviation durable). Actuellement, leur disponibilité est insuffisante pour couvrir tous les besoins du transport aérien. « Le mélange de carburant biosourcés avec du kérosène est en train d’être intégré par les motoristes, mais cela pose évidemment des problèmes beaucoup plus vastes. Il ne faudrait pas qu’il y ait une sorte de déplacement du problème environnemental en diminuant l’impact en vol de l’avion, mais en mettant en compétition la fourniture de carburant avec d’autres usages des sols », commente Laurent Joly.
L’ISA compte également s’intéresser aux traînées de condensation qui pourraient multiplier par deux l’impact climatique du transport aérien d’ici à 2050. Les systèmes d’information météo sont une piste pour permettre aux avions de voler au bon endroit pour éviter la condensation. L’aviation durable aura aussi des impacts sur le prix du billet d’avion et donc profondément bouleverser les habitudes des voyageurs.
10 millions d’euros de financement
À partir de leurs travaux, les chercheurs de l’ISA pourraient mener des études d’impact à la demande des pouvoirs publics. « L’Europe va investir des milliards d’euros dans l’hydrogène. Elle a besoin que les académiques répondent à la question de la viabilité de cette technologie. Les lobbies et les industriels peuvent véhiculer une vue partielle de la question alors que nous avons vocation à avoir une neutralité académique qui prenne en compte l’intégralité des enjeux », plaide encore Laurent Joly.
Pour lancer l’institut de recherche, un financement de 10 millions d’euros d’euros reste à boucler. Les chercheurs vont solliciter des fonds publics ou de fondations pour assurer une équipe de 20 personnes sur la période 2022-2028.