Depuis plus de 30 ans, une très large communauté scientifique, sous l’impulsion du DLR, mais également de laboratoires britanniques, américains ou français, a étudié et tenté de quantifier les différents effets de l’aviation sur le climat. Les estimations de l’importance relative de ces phénomènes complexes sont parfois très divergentes et il est utile de se référer aux travaux de compilation et de synthèse régulièrement menés par le Pr Lee de l’Université de Manchester (voir Lee et al, Atmospheric Environement, 2020). Cet article propose pour chaque mécanisme une valeur moyenne assortie d’un niveau d’incertitude, établis sur plusieurs dizaines de publications.
Effets carbone et non carbone
Source: Lee et al (2020)
Les effets de l’aviation sur le climat peuvent être regroupés en trois grandes catégories, avec des niveaux de connaissance très différents.
- le gaz carbonique ou CO2, gaz à effet de serre, chimiquement inerte, dont la durée de vie dans l’atmosphère de l’ordre de 200 ans. C’est ce terme qui présente par nature le moins d’incertitude : pas de réaction chimique, proportionnalité directe au kérosène consommé. L’article Lee et al, 2020 indique que le CO2 du à l’aviation représente en masse 2,4% du CO2 anthropique mondial en 2018.
- les autres composants produits par la combustion (principalement les oxydes d’azote NOx, oxydes de soufre SOx, particules fines, hydrocarbures imbrulés). Ces produits sont chimiquement réactifs, avec des constantes de temps de réaction et de mise à l’équilibre du système qui leur sont propres. La modélisation est de ce fait plus complexe, même si les processus dominants sont connus : les émissions de NOx perturbent la chimie de l’Ozone et celle du méthane. Ces deux effets agissent en sens opposé, et de fortes incertitudes perdurent sur le niveau net du forçage sur le climat (valeur moyenne du forçage égale à 50% de celui du au CO2.
- la valeur d’eau produite, et ses conséquences sur les différents types de nuages. Selon les conditions d’humidité locales, et en présence d’aérosols également émis par la combustion, des trainées de condensation sont formées. Celles-ci peuvent évoluer en cirrus, fins nuages d’altitude de durée de vie de quelques heures à quelques jours. Ces phénomènes sont complexes, demandent une finesse de modélisation physique suffisante pour estimer les propriétés optiques (et donc leur effet sur le rayonnement solaire et celui réémis par la Terre) de ces formations nuageuses. Des incertitudes très importantes demeurent sur l’estimation de leur effet sur le climat. Enfin, des aérosols émis par la combustion peuvent venir renforcer la formation des nuages bas plus épais, avec cette fois un effet refroidissant.
Pour pouvoir comparer ces différents effets, puis les additionner, il importe de définir une grandeur physique appelée « Forçage radiatif » (ou RF), homogène à une énergie par unité de surface, proportionnelle à la variation de température induite dans le système Terre-Atmosphère par cette grandeur RF. On conçoit bien qu’il est alors possible de faire un bilan additionnel des différents effets, par l’intermédiaire d’une grandeur (énergie ou variation de température) qui fait sens en modélisation du climat. Ces grandeurs RF ou ERF sont analysées en cumulant dans le temps toutes les émissions depuis les débuts de l’aviation jusqu’à une date de référence
La synthèse réalisée par Lee en 2020 conclut que les effets cumulés du CO2 émis par l’aviation entre 1940 et 2018 représentent 1,6% du forçage radiatif total dû au CO2 d’origine humaine. Le total des effets CO2 et non CO2 représente 3,5% de l’ensemble des forçages radiatifs anthropiques (CO2 et tous gaz à effet de serre, nébulosité, aérosols, etc.). Les différents processus non CO2 demeurent d’estimation très incertaine : en particulier les valeurs proposées dans la littérature et synthétisée par Lee, pour les trainées de condensation et les cirrus induits varient de plus d’un facteur 5. L’effet est dans tous les cas un réchauffement, comme pour le CO2. Quant aux effets refroidissants liés à une nébulosité de basse altitude renforcée, ceux-ci sont considérés comme encore trop peu explorés pour qu’il en soit tenu compte dans les bilans d’ensemble.
L’industrie aéronautique doit mener en priorité les travaux de décarbonation de l’aviation, appuyés sur une connaissance précise des émissions de CO2, tout en maintenant ouvertes des options technologiques orientées vers les termes non CO2 : conception des moteurs pour minimiser certaines émissions, stratégies opérationnelles (évitement des zones de formation préférentielle des trainées de condensation et cirrus induits), effets de carburants alternatifs. Pour maximiser les bénéfices climatiques des futures innovations, il importe donc d’améliorer la connaissance des différents mécanismes d’impact de l’aérien sur le climat : le Corac est associé depuis plusieurs années à un volet de recherches scientifiques destinées à améliorer les connaissances sur les effets non CO2.
LE RESEAU THEMATIQUE ENVIRONNEMENT DU CORAC : TRAVAUX 2011-2018
Une communauté scientifique s’est constituée au début des années 2010 autour du Corac, avec les laboratoires de l’Institut Pierre Simon Laplace (LSCE, LMD), du CERFACS, de Météo France et de l’Onera. Un premier programme de travaux a permis :
- De préciser les mécanismes à l’œuvre dans la formation et le développement des trainées de condensation et d’entreprendre leur incorporation dans des modèles de climat.
- De prendre en compte les processus chimiques associés aux émissions en altitude hors gaz carbonique (effet des oxydes d’azote).
- De mettre en œuvre un modèle de prévision du forçage dû à l’aviation (modèle OSCAR). L’utilisation de ce modèle, limité à la prise en compte du seul effet du gaz carbonique a conduit aux résultats ci-dessous :